Guide Michelin Belgique & Luxembourg 2025 : Une Analyse Critique

Le Guide Michelin a une fois de plus réuni le monde culinaire à l’occasion de la présentation de son édition 2025 pour la Belgique et le Luxembourg. La cérémonie annuelle, qui s’est déroulée dans le magnifique cadre de la Bourse d’Anvers, fut, comme à son habitude, un événement de prestige mettant en lumière le sommet de la gastronomie de la région. Ce rendez-vous est un moment phare de l’année, une occasion par excellence de retrouver tant de visages familiers et respectés de la scène culinaire belge et luxembourgeoise.

C’est également un instant opportun pour prendre la température du secteur. Les échanges avec les chefs, les photographes et les journalistes ont apporté des visions précieuses sur les tendances actuelles et sur la perception du Guide Michelin, cette Bible rouge (désormais digitale) de la bonne chère.

Cette édition recense 790 restaurants, dont 151 arborent au moins une étoile Michelin. Les grands lauréats sont le Restaurant Léa Linster et la Maison Colette, tous deux récompensés de deux étoiles. Treize établissements ont décroché leur première étoile, et trois ont été distingués par l’Étoile Verte Michelin pour leur engagement en faveur d’une gastronomie durable. Cependant, selon les inspecteurs, aucun restaurant n’a été jugé digne d’une troisième étoile, bien que les deux tables triplement étoilées existantes, Boury et ‘t Zilte, aient conservé leur distinction suprême.

Comment interpréter ce palmarès et cette journée ? Quelques constats s’imposent :

Une Année ” d’Occasions Ratées” dans un environment rempli de défis?

Si l’on considère le nombre “net” d’étoiles attribuées – c’est-à-dire en excluant celles résultant de déménagements de chefs ou d’ouvertures de nouveaux restaurants par des chefs précédemment étoilés – les bilan se relève moins reluisant : neuf nouveaux restaurants une étoile et un seul nouveau deux étoiles.

Difficile de parler d’un millésime exceptionnel. J’oserais même affirmer que 2025 restera comme l’année des “occasions manquées”, avec un nombre étonnamment élevé de chefs qui auraient mérité une première, voire une deuxième étoile, mais qui ont été “oubliés” par Michelin.

Compte tenu des conditions très ardues auxquelles le secteur est confronté après les années COVID, avec des loyers, des coûts de main-d’œuvre et de matières premières en flèche, sans parler de la baisse des réservations, il est légitime de se demander si le guide n’aurait pas dû adopter une approche plus souple.

Nombre de chefs investissent corps et âme dans leur restaurant, sans compter les sommes considérables qu’ils engagent dans leur entreprise.

Au regard de cette réalité économique et avec l’annonce de la fermeture prochaine de La Durée et le départ imminent de Ralf Berendsen de La Butte aux Bois, qui vont faire perdre au guide deux autres restaurants deux étoiles dans les mois à venir, on peut parler d’une occasion manquée.

N’aurait-il pas été judicieux que Michelin opte davantage pour un “accordons déjà la première ou la deuxième” plutôt que pour un “pas encore, on verra l’année prochaine”, offrant ainsi une forme de soutien moral bienvenu au secteur ?

Mettre l’accent sur la durabilité et attribuer des étoiles vertes est louable, mais peut-être y a-t-il des problèmes plus urgents qui préoccupent les chefs aujourd’hui, et un coup de pouce supplémentaire aurait été plus que la bienvenue. La question qui se pose est donc : Michelin peut-il contribuer à assurer la survie des restaurants afin qu’il y ait encore des établissements de qualité à qui attribuer des étoiles (vertes) demain ? Est-ce une attente légitime envers le Guide Rouge ?

La Consécration de Chefs Toujours Plus Jeunes : À Double Tranchant ?

La focalisation du guide sur des chefs de plus en plus jeunes est une évolution notable. Si elle met en lumière les jeunes talents, une question cruciale se pose : dans un secteur déjà confronté à des pénuries de personnel, est-ce réellement une évolution positive ? De nombreux chefs plus expérimentés se sentent frustrés, investissant beaucoup de temps et d’efforts dans la formation de jeunes talents pour les voir ensuite partir ouvrir leur propre restaurant après une période parfois très courte. L’époque où un jeune talent gravissait patiemment les échelons pour devenir sous-chef avant d’ouvrir son propre établissement semble révolue. Cette tendance, potentiellement exacerbée par la reconnaissance très précoce des jeunes talents par le Guide Michelin, soulève des inquiétudes quant à la fidélisation des talents et à la stabilité à long terme des cuisines établies.

Des Incohérences Croissantes au Sein de la Catégorie Une Étoile

Une autre observation significative est la disparité croissante de niveau entre les restaurants une étoile. Les différences sont de plus en plus difficiles à ignorer, surtout compte tenu de la réticence de Michelin à rétrograder des établissements.

Un restaurant ne perd généralement une étoile que lorsqu’il ferme ou lorsque le chef s’en va. Cette hésitation à retirer une étoile conduit de plus en plus à des situations qui peuvent être assez délicates. Cela pourrait paraître ironique, mais on pourrait presque dire qu’un système de sous-catégories, 1.1, 1.2 et 1.3 étoiles, pourrait être nécessaire pour donner une image plus fidèle de l’expérience culinaire… et pour éviter la déception des clients 😉

…Et Au-Delà des Frontières

Le même constat s’impose en examinant les notations Michelin au-delà de nos frontières. On observe de grandes différences dans la vision de la cuisine, où des food trucks, des gastropubs, des bars à ramen et d’autres lieux informels obtiennent des étoiles dans certains pays, tandis que dans notre région, l’accent semble mis sur la cuisine française classique avec une préférence pour les grands sauciers et les restaurants qui continuent à proposer des plats à la carte.

Enfin, il existe également des inégalités en matière de sécurité sociale et de fiscalité, comme par exemple avec la France, ce qui crée un déséquilibre et donc un défi supplémentaire pour nos restaurants et nos chefs.

Est-il Temps d’Élargir l’Horizon ?

Les différences culturelles peuvent expliquer une partie des disparités entre les pays, mais cela a ses limites. J’irais même plus loin… n’est-il pas temps que Michelin, dans notre région, mette également en lumière d’autres formes de haute gastronomie, comme les établissements proposant uniquement des desserts ou des pâtisseries, ou un grand chocolatier ou glacier ? Nous avons de nombreux artisans talentueux qui font un travail remarquable et qui ont certainement des points communs avec les tables étoilées traditionnelles.

Michelin vs. La Communauté des Foodies

Si l’on souhaite éviter les incohérences géographiques et qualitatives, il peut être judicieux de suivre quelques foodies influents. Le point de vue d’un foodie est intrinsèquement personnel et unique, chaque repas étant évalué à travers son propre prisme, façonné par ses préférences individuelles et ses expériences passées.

Cette approche très individuelle pourrait être considérée comme une garantie de cohérence, du moins dans le sens où l’évaluation du foodie reste fidèle à sa propre expérience subjective. Une fois que l’on a cerné le style et les préférences d’un foodie, on peut parfaitement sentir si cette personne et vous avez les mêmes goûts. Les recommandations de ce foodie devraient alors presque toujours vous séduire.

Cela soulève cependant une question cruciale : quel point de vue a le plus de valeur ? Celui de l’inspecteur professionnellement formé, ou celui de l’amateur passionné qui entretient une relation unique avec la nourriture ? La réponse réside probablement dans la combinaison des deux… utiliser le Guide Michelin comme la référence incontestée qu’il est toujours, combiné avec les éclairages de vos foodies préférés.

En guise de conclusion :

En revenant sur le Guide Michelin Belgique & Luxembourg 2025, il est évident que si les étoiles continuent de briller, l’humain derrière elles mérite une attention accrue. Les défis du maintien du personnel, la hausse des coûts et la survie même des restaurants dans le climat actuel sont des facteurs importants qui mériteraient peut-être une place plus importante dans le récit du guide.

Bien que la quête de la perfection culinaire reste primordiale, une approche plus “humaine”, reconnaissant le dévouement et la résilience des chefs et de leurs équipes, pourrait renforcer la valeur du guide. Le simple fait d’avoir déjà de très bonnes adresses dans notre région ne devrait pas freiner l’attribution de nouvelles étoiles. Quant à la réévaluation critique de certaines étoiles, un peu plus de dynamisme serait le bienvenu.

N’est-il pas grand temps d’adopter une définition plus large de l’excellence gastronomique et de s’engager davantage dans la réalité quotidienne à laquelle le secteur est confronté ? Nous aurions ainsi un Guide Michelin qui non seulement récompense les meilleurs, mais qui contribue également activement à un avenir durable et équilibré pour le riche patrimoine culinaire de la Belgique et du Luxembourg.

À l’année prochaine !

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